Veronica de Giovanelli

Veronica DE GIOVANELLI

En résidence aux RAVI d’avril à juin 2024

Dans une conférence intitulée « On Color »1, l’artiste américaine Amy Sillman met en exergue la matérialité de la couleur et l’impact de cette réalité matérielle dans le travail de l’artiste. Elle introduit sa réflexion par une anecdote, comparant sa relation à la couleur et au pigment en tant qu’artiste avec celle d’un historien de l’art : « Même si j’avais les yeux bandés, je saurais si je tiens un tube de rouge cadmium ou un tube de violet de cobalt en raison de leur différence de poids. […] Il ne le savait pas. Cela m’a surpris car le poids de ces pigments sont fondamentaux pour un peintre, […] mais mon travail et celui de l’historien de l’art sont différents – le mien est de tenir/contenir la couleur et le sien de la contempler, et ce clivage est aussi vieux que le monde »2.

La pratique de Veronica de Giovanelli ne peut se détacher de cette dimension tangible voire corporelle de la couleur et par extension de la peinture. En effet, chaque œuvre de l’artiste est le fruit d’un long processus issu d’une relation exploratoire avec la couleur et sa matérialité. Elle concrétise, dans une temporalité longue, un équilibre entre une grande maîtrise des techniques et pigments et un lâcher prise quant aux réactions chimiques des différents éléments. Elle prépare la toile ou le bois, travaille le support à plat, laisse la peinture dégouliner, l’étale, la recouvre de pigment par de grands aplats mats ou au contraire en transparence avec des jeux de fluidité ou de reflets. Chaque geste fait évoluer la forme vers sa finalité lui offrant autant de profondeur que de subtilité. La coexistence de gestes délibérés ou aléatoires découvre une dimension jubilatoire et charnelle de la peinture mais elle apporte surtout à la composition une sensation tantôt organique, tantôt minérale. C’est précisément à cet endroit que le médium entre en symbiose avec son sujet : le paysage.

Qu’il s’agisse des régions montagneuses du nord de l’Italie dont elle originaire, de la cartographie liquide de Venise, de la nature minérale de Norvège ou des étendues submergées des Ardennes belges, Veronica de Giovanelli se nourrit de chaque paysage qu’elle a traversé. Elle observe avec attention leur forme, leur couleur mais également leur évolution lente, strate après strate, elle découvre un temps millénaire, un condensé inépuisable d’innombrables détails tous chargés d’une histoire, d’une évolution. Cette compression du temps dans la nature se révèle particulièrement dans la géologie et l’étude des pierres qu’elle entreprend en capturant motifs et textures. Au-delà de la peinture, Veronica de Giovanelli pratique également le dessin qu’elle réalise par frottage. Elle laisse à nouveau parler la matière en déposant une feuille à même la montagne ou la pierre afin d’y capter les aspérités grâce au graphite lui aussi minéral. Telle une seconde peau, le dessin apparaît retraçant les méandres du temps dans le matériau se muant en une cartographie abstraite embrassant les moindres modifications de la matière qu’elles soient naturelles ou humaines. Véronica de Giovanelli fait parler le paysage aussi de l’intérieur, à partir des éléments qui le compose.

La pratique de l’artiste oscille, dès lors, entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, passant du détail ténu aux lignes de force les plus soutenues. Elle entremêle une large gamme de sources visuelles faisant advenir la lente évolution de notre environnement. La forme des fossiles emprisonnés dans la pierre, la dispersion de la couleur dans le ciel, les méandres de nervures des minéraux, les cartographies de cours d’eau, se déploient comme une grande constellation. L’univers frappe à la porte, le microscope se change en télescope. Un truchement qui aborde la question de la temporalité humaine et notre façon de concevoir la vie organique et minérale qui nous entoure.

Si les œuvres de l’artiste laissent parfois la place à certains éléments figuratifs, sous la forme de collage ou par l’apparition de motifs reconnaissables tel que la pierre, il semblerait que ce soit pour mieux nous rappeler l’œil qui regarde, il ne s’agit pas d’un paysage mais bien d’une peinture majoritairement abstraite composée de couleurs, de pigments, de produits naturels ou chimiques apposés sur un support en bois ou en toile. Les œuvres de l’artiste se postent à la frontière d’une expérience immersive du paysage par le biais de la matière tout en nous ramenant les pieds sur terre afin de questionner le vivant dont nous faisons partie et ses enchevêtrements.

Sophie Delhasse

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1. Texte de la conférence publié dans From Painting Beyond Itself, Edited by Isabelle Graw and Ewa Lajer-Burcharth, Steinberg Press, 2016, pp. 103 – 115.
2. Traduction de l’auteur

Vue de l’exposition personnelle Andvake, Boccanera Gallery, Trento, 2021