Hannah KALAORA

En résidence aux RAVI d’octobre à décembre 2024

L’espace environnant constitue à la fois la matrice et la contrainte principale du travail qu’Hannah Kalaora a réalisé au cours de sa résidence. Perçu et vécu par l’artiste comme un « vide à remplir », cet espace devient le point de départ d’une réflexion multiforme. C’est précisément autour de cet espace que s’est articulée sa réflexion : l’espace physique, que son travail investi du sol aux murs ; l’espace mental de la création artistique et l’espace politique, culturel et identitaire avec cette installation de pierres sur lesquelles sont apposées les lettres de l’alphabet arabe d’un côté et hébraïque de l’autre, telles deux forces en tension. Dans une démarche empreinte de sensibilité, Hannah Kalaora puise son inspiration dans les objets du quotidien – trouvailles sur la plage, jouets d’enfants (épées, pistolets en plastique) ou fragments végétaux (arbres, plantes). Ces éléments banals, une fois (dé)peints, deviennent autant de traces figées de nos existences. Sur des toiles de petits formats – et plus rarement de grands – elle joue avec l’étrangeté du familier et la familiarité de l’étrange. « Les sources sont juste là, à côté. Pour moi, elles sont familières, et la peinture les rend étrangères », confie l’artiste. Parfois, le processus inverse s’opère : la peinture devient un moyen d’apprivoiser ce qui échappe à son regard ou à sa compréhension. En cela, elle constitue un « point de repère matériel dans le chaos ».

Cette quête de sens entre en résonance avec la réflexion qu’Hannah Kalaora mène sur le corps féminin. Sa pratique artistique se caractérise en effet par un questionnement intime sur le corps qu’elle interroge à travers les enjeux d’une femme qui est à la fois artiste et mère célibataire. Ce questionnement se déploie sur la toile, où apparaissent des sous-vêtements, des fragments de corps, et dans les représentations sculpturales de sexe féminin en alginate, par exemple. Ces motifs deviennent les marqueurs d’une expérience personnelle autant qu’une réflexion universelle sur la féminité, la maternité et l’identité. Mais son engagement ne s’arrête pas là : le corps de l’artiste lui-même devient un outil d’expression de premier plan, particulièrement lors de ses performances. Hannah Kalaora engage son propre corps avec un triple objectif : faire corps avec la peinture, faire corps avec l’espace et faire corps avec le public présent. Ses œuvres tissent alors un dialogue entre le jeu et la vie, entre le vivant et le non vivant, entre le public et l’intime. Il devient à la fois sujet, matériau et outil d’expression. Cette juxtaposition trahit une exploration constante de l’espace et du temps que l’on retrouve comme fil rouge dans nombre de ses créations, car l’artiste questionne aussi la notion de durabilité de l’œuvre, opposant la temporalité longue et complexe de la peinture ou de l’installation à celle, éphémère et immatérielle, de la performance.

À l’occasion des portes ouvertes aux RAVI, Hannah Kalaora a conçu une performance intitulée Bridges où elle a souhaité créer des liens entre l’espace et le spectateur, entre les spectateurs eux-mêmes, mais aussi entre des artistes aux pratiques différentes de la sienne (Catherine Barsics, Werner Moron pour la poésie ; L’Oeil Kollectif pour la musique). L’espace devient alors moins une contrainte qu’un jeu : elle l’investit (et le laisse être investit) tout en se laissant traverser par lui, invitant le spectateur à réévaluer son rapport à l’environnement à travers ses œuvres. Ainsi, son travail nous invite à poser un regard autre sur le quotidien, à interroger ce que ces fragments de vie figés sur la toile disent de nous, de nos habitudes et du vivant, preuve que la nature – tout comme la peinture – n’est définitivement pas morte.

Camille Hoffsummer

Autoportrait