Cyril Massimeli
En résidence aux RAVI de janvier à mars 2024
Immeubles et maisons de maître de tout style se suivent au loin le long de l’eau. Couleurs, formes et angles s’opposent et intriguent. Le regard est directement attiré par cet arrière-plan à l’éclectisme architectural, si non familier, à tout le moins vraisemblable. Ces édifices se dressent telle une ligne du temps parsemée de goûts, tantôt audacieux, tantôt douteux, d’époques révolues.
Face à l’artère coule une eau sombre et calme qu’on devine à peine entre les pierres et briques des bâtiments et un rassemblement festif autour d’un feu. On devine sur cette toile, intitulée Nausicaa, l’ambiance joviale de cette soirée estivale par les bières, les pizzas et les interactions. Un moment décontracté, sans doute spontané, qui résonne dans les souvenirs de tout un chacun…
Habitué à représenter des réunions hédonistes dans des intérieurs d’une bourgeoise standardisée, Cyril Massimelli a changé d’approche dans le cadre de son passage aux RAVI. Sa résidence a, en effet, débuté par un travail de prospection à travers la Cité ardente dans le but d’associer cette inspiration liégeoise à ses souvenirs festifs de déambulations berlinoises.
Les quartiers autour de la Dérivation et de la Meuse ont particulièrement attiré l’attention de l’artiste qui vient à questionner le rapport du Liégeois à sa ville et son évolution. La formule de Philippe Marczewski dans son livre Blues pour trois tombes et un fantôme est ainsi évoqué par Cyril Massimelli : « Liège, […] on se déchire entre l’envie de fuir la ville pour ce qu’elle est et celle d’y rester pour ce qu’elle pourrait être… ». En d’autres mots, ces bords de fleuve envahis par les bruits de moteur et les gaz d’échappement ne sont guère recommandables pour déambuler mais le potentiel existe. Avec Nausicaa, l’artiste élabore sa propre utopie urbaine en s’inspirant des aménagements de la Cité ardente et de son hétérogénéité au charme certain.
À partir de ses photographies prospectives, Cyril Massimelli crée des édifices vraisemblables et pourtant fictifs. Ce mélange d’éléments architecturaux et urbanistiques génère un sentiment de déjà-vu auprès du Liégeois qui cherchera en vain l’emplacement exact de cette scène. Intrigué par la physionomie de la Cité ardente, l’artiste en exploite son potentiel plastique, loin de toute perspective touristique pouvant mener aux classiques vues de carte postale.
À l’avant plan de Nausicaa, la scène festive représente ce possible salvateur pour la ville où l’individu pourrait se réapproprier son lieu de vie et en faire un terrain de rencontres et de jeu. Se réunir dans une forme de simplicité et d’improvisation au cœur de la cité qui serait construite pour favoriser ce type de connexions… Aucun personnage du tableau n’existe mais ils semblent familiers, un groupe que l’on pourrait croiser au détour d’une fête. C’est cela l’utopie dépeinte dans cette toile, à la fois simple et indispensable.
Subtile juxtaposition de références et d’intentions, l’œuvre de Cyril Massimelli manie l’ambivalence avec finesse. Le discours politique n’en est jamais absent tandis que sa compréhension dépendra du point de vue et du niveau de lecture. Ses toiles racontent une histoire sur nos modes de vie et sur notre société, elles abordent notre tendance à l’hédonisme, elles évoquent notre appartenance à une communauté et ses codes, elles critiquent aussi et principalement, mais subtilement.
Dans Nausicaa, Cyril Massimelli s’inspire de plusieurs grands noms de l’histoire de l’art, depuis l’influence majeure des fêtes dépeintes par Véronèse jusqu’aux vues de Venise représentées par Canaletto. L’artiste a d’ailleurs choisi d’ajouter un vis-à-vis avec une reproduction des Noces de Cana (version de Dresde) de Véronèse qu’il a réalisé en 2003, un exercice artistique à l’origine de ses représentations de groupes. Le style de la peinture ancienne apparaît également à travers certains détails, tel le drapé de la robe à droite du tableau.
Les Baigneurs de Georges Seurat ne semblent également pas étrangers à cette scène de sortie de l’eau d’un homme aidé par une femme. Un Ulysse naufragé secouru par Nausicaa ? Cette subtile symbolique suggérée par l’artiste rappelle le drame des inondations qu’a connu la région liégeoise lors de l’été 2021.
S’entrechoquent dans cette œuvre souvenirs, fictions, utopies, symboliques, engagements… Cette toile se dévoile donc, petit à petit, référence après référence, pour finalement offrir un panorama nettement plus large de notre monde.
Thibaut Wauthion
