Bo Vloors

En résidence aux RAVI d’octobre à décembre 2024

As A Matter of (f)Act

Active dans les domaines visuel, littéraire et audiovisuel, Bo Vloors a constitué depuis une quinzaine d’années une abondante archive photographique précautionneusement classée, et dont elle ne faisait jusqu’ici qu’un usage personnel, à la fois source d’inspiration et de réflexion. Une sélection en sera cette fois présentée au public – et, selon ses mots, « avec conviction » – dans le cadre de son projet aux RAVI.

« Passionnée par l’image, je ne parviens pas à m’exprimer en photographie », commente-t-elle : « dans le film, il y a le son, le montage, le mouvement, … » Souvent, l’image seule lui paraît donc incomplète ; dans le projet qu’elle a choisi d’élaborer lors de sa résidence liégeoise, c’est le texte qui assure la complétude.

Lorsqu’on la rencontre dans son atelier, plusieurs formules de livres sont déployées sur sa table : Bo tourne – physiquement et intellectuellement – autour de la formule la plus juste des rapports entre le texte et l’image, intégrant tous les paramètres de l’objet qui en résulte : couleurs, papier, mise en page, reliure, couverture, et même de petits éléments sculpturaux en bronze … Tout doit être d’autant mieux pesé qu’il s’agit d’élaborer ici un prototype qui se déclinera ensuite en diverses éditions. Bo a d’ailleurs profité de sa résidence pour associer à sa recherche de nombreux partenaires de la scène locale.

La photo, sa photo, c’est peut-être insuffisant à ses yeux (« ennuyeux » même, dira-t-elle), mais c’est beau. De belles photos, Bo sait et sait qu’elle sait en faire. Si elle se méfie de cette beauté, ce n’est pas parce que ce don lui échapperait, mais plutôt parce qu’une belle photo, c’est irrésistible – tant pour l’opérateur que pour le spectateur. La belle image a toujours le champ libre pour accomplir son œuvre de séduction et de romantisation du réel, qui contribue à rendre celui-ci, en somme, inatteignable. Toute gorgée de séduction, l’image est aveugle à la nuance : nous sommes sous son emprise, inconscients et béats. Dans cet « abus de la beauté », selon les mots de Bo, Milan Kundera sut lire, exacerbé dans le romantisme kitsch, un trait constitutif des dictatures. Et Rainer Marie Rilke de pointer l’ambiguïté fondamentale du beau, « ce degré de terrible qu’encore nous supportons et nous ne l’admirons tant que parce que, impassible, il dédaigne de nous détruire » (Les élégies de Duino).

Chez Bo Vloors, l’image sera à la fois matériau et sujet d’une quête en lucidité où l’éthique ne rejoint l’esthétique qu’en refusant de céder à la moralisation. Et où l’artiste se fait fort d’offrir en contrepartie de la beauté les moyens d’en déjouer l’enchantement. Pour contourner toutes les formes de romantisation du réel, Vloors préconise de commencer petit : des faits sans héroïsme transcrits dans un état de vulnérabilité, condition à ses yeux d’un partage authentique et nuancé de la perception du réel. D’où le titre générique de As A Matter of (f)Acts pour ces livres qu’elle définira en fin de compte comme des « documentaires lyriques ».

Les premiers ouvrages de la série incarnent donc les principes fondateurs de sa démarche. Ils ont pour fil rouge des gestes où l’homme et la nature se rencontrent dans un rapport où l’être humain, certes, domine, mais à la condition de s’adapter : le premier livret, par exemple, montre un apiculteur à la recherche d’une reine. Pas de moralisme. L’image est précise et belle. Le texte, de la main de Bo Vloors, est un contre-narratif à la fois factuel et expérimental. Il est, dit-elle, « l’image qui manque » dans un projet audacieusement intelligent et lumineux.

Yves Randaxhe