Ida Ferrand

Ida Ferrand, jeune graveuse.

Mon attention de plasticienne se porte sur l’architecture dite «fonctionnelle» (je me suis longtemps intéressée à l’architecture industrielle), ou plus exactement, sur le caractère singulier des ruines qui en découlent et la manière dont elles informent notre présent. Mon travail sonde ces marges par les moyens du dessin et de l’estampe, dans son acception la plus large : gravure taille douce (avec une attention portée sur les procédés non-toxiques), xylographie, impression digitale, etc. Plus spécifiquement, depuis deux ans, mon travail a pour terrain d’investigation l’architecture militaire et, en particulier, celle des places fortes.

Mon projet pour le temps de résidence RAVI s’intègre naturellement à ma recherche sur l’architecture militaire. A Liège, Les Coteaux de la Citadelle constituent un grand parc dans la ville. Cette colline et les infrastructures qui l’équipent – la citadelle et ses vestiges, mais aussi l’hôpital qui trône aujourd’hui à son sommet, les divers aménagements du parc – sont depuis longtemps des formes assimilées, familières de l’horizon liégeois. A plusieurs titres, ce site concentre une part importante de l’histoire de la ville, une histoire qui est à la fois propre à celle de Liège, et, par bien des aspects, emblématique des vieilles cités palimpsestes européennes.
Sur cette colline, le médical a succédé au militaire. Initialement, la citadelle a aussi été conçue comme un dispositif de contrôle de la population. Par ailleurs, elle peut certainement être envisagée comme une technologie militaire, une machine à tuer. Bien plus tard, sur ses ruines, on a bâti une « machine à guérir »1. Certes, entre la citadelle du XVIIème et le centre hospitalier des années septante, il y a un monde. Ce sont pourtant des architectures soeurs qui relèvent d’une généalogie commune, celle de l’architecture comme technologie du pouvoir et instrument d’une emprise disciplinaire sur les corps. A Liège, la superposition localisée (même fortuite – le choix du site pour la construction de l’hôpital est peut-être plus une combinaison de hasards qu’un enchaînement logique) de ces dispositifs architecturaux parents est un fait remarquable et une base fertile pour étudier la part du militaire dans le formatage de la ville moderne et de ses institutions.

1 Ouvrage collectif (Michel Foucault, Blandine Barret-Kriegel, Anne Thalamy, François Béguin, Bruno Fortier), Machines à guérir. Aux origines de l’hôpital moderne, Paris, Institut de l’environnement, 1976. Le titre fait référence à une formule du médecin Tenon (J.-R. Tenon, Mémoire sur les hôpitaux de Paris, 1788.)