Marion Schaeffer
En résidence aux RAVI de janvier à mars 2024
Well Done ! – Formes et contreformes.
A première vue, des volumes à motifs « briques » figurent des ruines ou un mur démonté. Mais si vous reconstituez le puzzle, il en manquera des pièces. L’absence est la notion fondamentale du travail de Marion Schaeffer. Chaque creux dans les formes de carton réalisées lors de la résidence aux ateliers RAVI, peut être comblé par le corps de l’artiste dans une position de yoga ou de fitness, qu’elle pratique avec régularité. Les pièces ont été sculptées sur mesure dans du carton et recouvertes de papier peint pour représenter l’espace entre son propre corps et le sol. Ainsi, peut-être pourrait-on, en imbriquant corps et œuvre de l’artiste, reconstituer un espace plein, dans lequel elle serait… emmurée.
L’absence évoquée par Marion Schaeffer dans son travail artistique joue avec la présence, avec le mouvement et le déplacement de la forme, de l’objet, du corps, qui dans l’espace nouveau peut devenir incongru ou trouver un autre usage. Mais qui dans l’espace duquel il vient, engendre une sensation de vide, à l’instar d’un membre fantôme. Il y a quelque chose qui picote. Quelque chose à remplir, de l’ordre d’une perte que rien ne peut combler d’autre que ce qui est absent. Une sensation assez dérangeante, s’apparentant au manque. Marion Schaeffer travaille les formes et les contre-formes avec un sens pratique. A tout bien réfléchir, elle me fait penser à Marcel Broodthaers. Peut-être est-ce indicé par la présence des briques. Mais au-delà des matériaux, je retrouve l’absurde et l’humour, ainsi qu’un certain détachement face à l’intime. Marion Schaeffer utilise sans nul doute des événements personnels de vie, mais elle n’en fait pas un témoignage. On est dans une pensée générale et abstraite, à la frontière du critique, pas dans de l’autobiographique. Au côté de la matérialité de son travail – du matériel brut, de récupération et de construction – Marion Schaeffer jongle avec les codes de la pop culture avec ironie. Les phrases chocs et cliché de la « self motivation » des milieux de fitness sur les réseaux sociaux et chaines YouTube de coach sportif.ive.s improvisé.e.s, dans le contexte d’un atelier de résidence d’artistes, font tout leur effet.
Le motif « briques rouges », recouvrement emblématiques des façades belges, honore le lieu de résidence liégeois de l’artiste française (originaire de Lyon), mais fait aussi référence au matériel brut que Marion Schaeffer utilise par ailleurs généralement dans son travail artistique, avec des sculptures en béton, ciment, ou plâtre. On ne fait pas dans la broderie, ce n’est pas l’idée. Elle me dira : je ne suis pas minutieuse, j’aime bien le cracra. Marion Schaeffer ne dépense pas pour produire, elle récupère, chine, réemploie, car l’art ne peut pas faire abstraction de la situation économique et écologique, ni de l’urgence des temps que nous traversons. La contrainte de la matière contribue grandement à la direction formelle que prendra son travail. Malgré sa grande humilité (elle a mis deux ans après avoir été diplômée aux Beaux-arts de Saint-Etienne, avant de s’accorder le droit et la légitimité de créer), Marion Schaeffer a toute sa place parmi les artistes contemporain.e.s qui accompagnent l’histoire. Son absence, dans tous les cas, nous picoterait, car c’est bien là que Marion Schaeffer doit être.
Barbara Beuken
