Louis DARCEL

En résidence aux RAVI d’avril à juin 2024

Louis Darcel (Paris, 1988) vient du dessin, qu’il étudie à La Cambre, ce qui lui vaut une maîtrise et une technique très précises, proches de la perfection. Dans cette élégance, il cherche l’accident. Ce qui viendra – goutte à goutte – ajouter du hasard à sa production artistique. Le travail présenté aux ateliers RAVI se divise en deux axes : un dédié à son travail à l’aquarelle, l’autre à son étude des réactions chimiques aléatoires du sel (et du sel d’Epsom) sur des sculptures en grès.

A l’aquarelle il peint des dégradés de couleur, tantôt abstraits et monochromiques, tantôt contrastés de formes architecturales. Avec ou sans cadre, la fenêtre occupe le thème central. Louis Darcel tend son papier sur châssis ou sur panneau de bois pour éviter qu’il ne gondole. Dans le premier cas, cela lui permet de jouer avec des différences d’épaisseurs, des creux et de la transparence, les contours du cadre rappelant ceux de la fenêtre. Il expérimente d’anciennes méthodes pour rendre son papier translucide : une technique de badigeonnage d’huile de lin sur peaux de parchemin tendues, utilisée au Moyen-Âge en guise de fenêtre laissant passer la lumière, avant d’être remplacée par le verre. Il s’intéresse aux anciens codes architecturaux. Il jongle parfois aussi avec la découpe et les superpositions de papiers, croisées ouvertes, œil-de-bœuf, arches, volets, panneaux, vision(s) sur le monde et son paysage effacé dans un dégradé maitrisé d’une ou l’autre couleur.

Louis Darcel pratique la céramique à l’École des Arts d’Anderlecht. Lors de cette résidence, il travaille des restes d’argile noire qu’il récupère dans un atelier liégeois. Il maçonne des volumes aléatoires s’apparentant à des amas – petites montagnes de terre creuses – ou des formes évoquant plus clairement le récipient. Ces pièces creusées en grès serviront de support à ses expérimentations au sel. Car dans son travail, s’il y a une part importante de maitrise et de connaissances détournées, il y a une place tout aussi grande laissée au hasard, au non-prévisible, à ce qui viendra faire la surprise. Cet évènement ne surviendra cependant pas brusquement, mais par une discipline lente d’évaporation. Les pièces en grès sont suspendues ou déposées sur des trépieds en fil de fer, rappelant en toute simplicité l’harmonie du triptyque, et sa fiabilité – trois points d’appui donnant un équilibre moins bancal que quatre. L’artiste fait s’écouler de l’eau salée à travers ces pièces semi-poreuses. Si l’eau passe au travers, le sel, lui, détruit ce qu’il peut et cristallise sur ce qui reste. A son tour, le sel sculpte, selon le taux d’humidité, de chaleur, la porosité de la matière sur laquelle il coule et s’amasse en des volumes jamais tout à fait prévisibles, faisant la part belle aux aléas, créant à son tour des paysages. C’est cette dimension d’alchimie non-maitrisée qui préoccupe l’artiste. C’est aussi la fragilité éphémère de la réaction – et donc de l’œuvre – et son contraste avec la corrosivité du sel, destructeur et agressif.

Malgré l’apparente hétérogénéité de ces deux lignes de travail, Louis Darcel a une constance : dans sa méticulosité, sa précision, sa préparation et son savoir-faire, il laisse les éléments réagir à leur guise, qu’il s’agisse de l’aquarelle qui se dilue et ne s’applique pas partout de manière uniforme ou des réactions chimiques du sel et de l’eau à l’évaporation. Prévu et imprévu valsent dans les règles de l’art pour trouver l’équilibre, questionnant au passage nos rapports au destin, à ce sur quoi l’on peut agir, et ce que ça peut donner de beau aussi si l’on apprend à laisser couler.

Barbara Beuken