Wolf Cuyvers

Regarde —


On imagine aisément Wolf Cuyvers, baskets et sac à dos, arpentant la ville pendant des heures, des nuits entières ou encore roulant pour explorer des urbanités plus souterraines ; chantiers, autoroutes, aires de repos, non-lieux et autres interstices où la ville transpire encore, où les réseaux et signes de communication sont encore présents. L’œil toujours à l’affût d’une impression visuelle, de mots qui résonnent ; un panneau lumineux glacial qui grésille fébrilement ou encore un graffiti oublié. Il s’agit là et ailleurs de son terrain de jeux, de ses lieux d’imprégnation, ceux mêmes où il prélève une multitude d’éléments constitutifs de son œuvre. Ses œuvres se nourrissent en effet de tout ce que l’espace urbain est en capacité de produire, ingérer, digérer et finalement recracher.

Les objets ou mots prélevés qui intègrent l’inventaire de l’artiste fonctionnent comme des marqueurs. Ils témoignent d’un balisage et d’un marquage du territoire ; signalétique, mobilier urbain, banderoles publicitaires ou encore graffitis. Des pièces plus anciennes convoquent parfois même des cartes géographiques intégrant des tracés d’itinéraires dictés par une règle du jeu arbitraire ou encore l’utilisation de la tente, objet nomade permettant d’occuper différents territoires et permettant le déplacement. Les mots sont infusés du langage urbain. Graffitis et autres déchets textuels publicitaires sont soigneusement prélevés (de manière littérale ou alors notés) pour rejoindre un vaste inventaire de mots ou phrases, source de nouvelles compositions créées sur le principe du Scrabble.

Garage —

Mots et objets issus des cueillettes urbaines de l’artiste rejoignent l’atelier et toute cette matière est ensuite nouvellement absorbée, triée, transformée et détournée pour donner vie à des reliques urbaines. L’espace et le temps de la transformation opèrent en mode Garage. L’atelier, véritable entrepôt abritant des centaines d’échantillons et objets en tout genre révèle le caractère artisanal des productions à l’instar de la musique Garage exploitant la matière brute du son avec un équipement minimaliste.

Dans cet espace de travail, les mots et phrases récoltés ont été compilés, transposés, parfois réimprimés, parfois découpés pour une nouvelle exposition (au sens premier).  Jeux de mots, figures de style et autres aphorismes viennent alors contrebalancer la brutalité des matériaux — non sans ironie. Les poèmes peuvent se figer dans des blocs en plâtre où les plis hésitent entre le froissé et le drapé, à l’image de la ville qui ensevelit l’information textuelle. Certains morceaux d’affiches et autres supports publicitaires déchirés donnent naissance à des œuvres aux allures de lettres de corbeaux poétiques.

Prends garde —

L’œuvre de Wolf Cuyvers atteste d’une sensibilité aigue à l’environnement urbain et se porte témoin d’une société en souffrance ciblant les signaux de ce mal-être que les usagers ont occulté par habitude. Il n’est pas question de montrer ce qui est caché mais révéler ce qui est montré et dont la visibilité est enfouie dans la surabondance des images et des mots qui composent une ville. Car il s’agit bien là d’une vie urbaine souffrante qui est dévoilée ; des couvertures de survie, des banderoles de programmes immobiliers neufs dégueulasses et abandonnées, des S.O.S que l’activité de la ville a fini par oublier, une maîtresse en détresse à la recherche de son animal domestique, des déclarations personnelles à la poésie maladroite, des revendications politiques et sociales. Et pourtant l’œuvre de Wolf Cuyvers nous offre une porte de sortie. Le champ des batailles est aussi le lieu des mutations et des changements à venir et son œuvre nous montre à quel point la créativité peut participer à réinventer notre société.