Eva Evrard

L’œuvre d’Eva Evrard parle d’humanité. La petite, celle qui, microscopique, se décline en empreintes digitales, en regards de passants épinglés comme des insectes rares, en rouleaux de parole déclinant des possibilités d’action, des questions, des associations d’idées. Comme s’il fallait conserver cette humanité-là, en faire une archive discrète mais fidèle, un témoignage de ce qui existait. Et l’autre humanité, celle qui est la machine de son propre écartèlement, de sa propre disparition – celle qui éclate les corps, qui les fait disparaitre dans des boites ou dans les algorithmes des flux boursiers, celle dont il ne reste plus que des stèles où figurent les noms, les coordonnées d’une vie disparue, et dont l’image se prolonge en miroir sur une terre vitrifiée.
Sous l’apparence sage et fragile du papier, sous l’écriture fine et les gestes précis, voilà donc ce qui se trame. Un conflit permanent, et pourtant presque invisible par son minimalisme ; une violence inouïe, et cependant presque inaudible, comme toutes ces bouches ouvertes, figées dans les murs, et dont pas un son, pas une parole, ne jaillit. Ce qui se joue, dans chaque œuvre, et par un jeu subtil de correspondances entre elles, c’est l’histoire contemporaine de notre monde, et des corps qui sont pris dans ses rouages ; c’est la menace existentielle d’une possible et totale disparition ; c’est de devenir traces, ossements fossilisés, monuments hermétiques d’une humanité perdue, reproduits à l’échelle.

Eva Evrard’s work speaks of humanity. First, the small, microscopic humanity, one that is declined in fingerprints, in the eyes of passersby pinned like rare insects, in rolls of speech declining opportunities for action, questions, associations of ideas. As if it were necessary to preserve this humanity, to make a discrete but faithful archive of it, a testify of what existed. And the other humanity, that which is the machine of its own dismemberment, of its own disappearance – the one that explodes bodies, that makes them disappear into boxes or in the algorithms of stock market flows, the one of which the only remaining traces are stelae where the names, the coordinates of a vanished life appear, and whose image is mirrored on a vitrified earth.
Under the wise and fragile appearance of the paper, under the fine handwriting and precise gestures, this is what is going on. A permanent conflict, and yet so minimalist that it becomes almost invisible; an unheard-of violence, and yet almost inaudible, like all those open mouths, fixed in the walls, and of which not a sound, not a word, springs forth. What is played out in each work, and by a subtle correspondence between them, is the contemporary history of our world, and the fate of human bodies caught in its cogwheels; it is the existential threat of a possible and total disappearance; it is to become traces, fossilized bones, hermetic monuments of a lost humanity, reproduced on scale.